Perte d’ensoleillement : quels sont les recours ouverts aux propriétaires ?

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Table des matières

L’ensoleillement est très important dans la qualité de vie des occupants d’un logement. Il influence directement le confort, le bien-être et la santé en favorisant une ambiance chaleureuse et lumineuse. De surcroît, une bonne exposition peut réduire la consommation énergétique d’un logement, en limitant le recours à l’éclairage artificiel et au chauffage.

C’est pourquoi les biens immobiliers bénéficiant d’un bon ensoleillement sont généralement plus prisés sur le marché, ce qui augmente d’autant leur valeur vénale. 

Cependant, des constructions voisines peuvent altérer cet ensoleillement. Cette perte de luminosité naturelle entraîne généralement une dégradation du confort des occupants et une diminution de la valeur du bien.

Face à cette problématique, tout propriétaire se doit d’être informé des recours à sa disposition pour contester la perte d’ensoleillement subie à la suite d’une nouvelle construction dans son voisinage.

Cet article a pour objectif d’informer sur les démarches possibles dans un pareil cas, en abordant notamment la notion de trouble anormal de voisinage, les méthodes de mesure de la perte d’ensoleillement, les moyens de preuve du préjudice subi ainsi que les recours stratégiques envisageables contre le permis de construire.

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1. La perte d’ensoleillement est un trouble anormal de voisinage

Définition du trouble anormal de voisinage

Le trouble anormal de voisinage est une notion issue initialement d’une construction jurisprudentielle qui vise à maintenir un équilibre entre le droit de jouissance des occupants d’un logement et le respect de la qualité de vie des voisins.

Il s’agit d’une limitation au droit de propriété, fondée sur l’article 544 du code civil, qui dispose que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

Cette notion a été récemment codifiée à l’article 1253 du code civil par la loi n° 2024-346 du 15 avril 2024, qui dispose désormais que :

« Le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte ».

Ainsi, bien que chaque propriétaire ait le droit d’user de son bien comme il l’entend, cet usage ne doit pas causer de nuisances excessives aux voisins.​

Application du régime du trouble anormal de voisinage à la perte d’ensoleillement

Lorsqu’une nouvelle construction, comme une surélévation ou l’édification d’un bâtiment de grande hauteur, projette une ombre sur la propriété voisine, cela peut réduire la luminosité naturelle dont bénéficiait initialement cette dernière.

Cette diminution de lumière naturelle peut être considérée comme un trouble anormal si elle dépasse les inconvénients normaux de voisinage au sens de l’article 1253 du code civil.

2. Comment est apprécié le trouble anormal en cas de perte d’ensoleillement ?

Pour qu’un trouble de voisinage soit qualifié d’anormal, les juges examinent plusieurs critères :​

  • Intensité et durée : le trouble doit être suffisamment grave et persistant pour excéder les inconvénients normaux du voisinage.​
  • Caractère local : les juges prennent en compte les spécificités du lieu, comme la densité urbaine ou la nature résidentielle de la zone.​
  • Antériorité : si la nuisance existait avant l’installation du plaignant, cela peut influencer l’appréciation du caractère anormal du trouble.​

Ainsi, suivant ces critères, la perte d’ensoleillement, comme d’ailleurs la perte de vue et d’intimité, résultant de constructions ou d’aménagements voisins, peut être reconnue comme un trouble anormal de voisinage si elle altère significativement la jouissance d’un bien immobilier.

Cela explique que l’appréciation de l’anormalité du trouble se fait au cas par cas, et le contexte est alors déterminant. La seule perte d’ensoleillement n’est pas, dans l’absolu, un critère pour qualifier un trouble anormal.

Par exemple, la Cour d’appel de Montpellier a considéré en 2023 qu’une perte d’ensoleillement estimée à deux heures le matin pendant la période hivernale, soit sur un temps réduit, ne constituait pas un trouble anormal de voisinage justifiant une indemnisation (CA Montpellier, 8 juin 2023, n° 18/04858).

Pour apprécier convenablement l’anormalité ou pas du trouble, il est important d’avoir des moyens de mesurer concrètement la perte d’ensoleillement.

3. Comment est mesurée concrètement la perte d’ensoleillement ?

L’importance de la quantification de la perte d’ensoleillement

La quantification précise de la perte d’ensoleillement permet de distinguer une gêne acceptable d’un trouble anormal justifiant une action en justice pour obtenir réparation du préjudice subi.

Sans mesure objective, il est difficile de démontrer l’ampleur du préjudice subi et d’obtenir réparation. Les tribunaux s’appuient sur des données chiffrées pour apprécier le caractère anormal du trouble, obtenues grâce à diverses méthodes de mesure.

Les différentes méthodes de mesure

Plusieurs approches permettent d’évaluer la perte d’ensoleillement :

  • L’étude de perte d’ensoleillement : cette expertise technique analyse la diminution de luminosité causée par une construction ou une plantation. Elle prend en compte l’orientation, la hauteur des obstacles et la trajectoire solaire pour estimer la réduction d’ensoleillement. ​
  • La modélisation numérique : des logiciels spécialisés peuvent désormais simuler l’impact d’une structure sur l’ensoleillement d’une propriété voisine. Ces outils génèrent des représentations visuelles et des données quantitatives sur les zones d’ombre projetées à différents moments de la journée et de l’année. ​
  • Prises de mesures sur le terrain : des relevés in situ, effectués notamment à l’aide de luxmètres, permettent de comparer l’intensité lumineuse avant et après l’apparition de l’obstacle. ​

Le recours aux experts pour apprécier la perte d’ensoleillement

Pour assurer la fiabilité et l’objectivité des mesures, il est recommandé de faire appel à des professionnels qualifiés :​

  • Architectes : leur expertise en conception et en impact des structures sur l’environnement lumineux est précieuse. ​
  • Géomètres-experts : ils réalisent des relevés précis des dimensions et positions des obstacles, essentiels pour les simulations et analyses. ​
  • Bureaux d’études spécialisés : ces structures disposent des outils et compétences pour mener des études d’ensoleillement détaillées, fournissant des rapports techniques, qui constituent des pièces fiables pour un recours contentieux.

4. Comment prouver le préjudice subi du fait de la perte d’ensoleillement ?

​Pour engager la responsabilité d’un voisin en raison d’une perte d’ensoleillement, il faut impérativement démontrer le préjudice subi. Cette démonstration repose sur plusieurs éléments clés :​

L’anormalité du trouble

Il faut prouver que la perte d’ensoleillement dépasse les inconvénients ordinaires du voisinage. Les tribunaux évaluent cette anormalité en fonction de critères tels que l’intensité, la durée et la répétition du trouble.

Une perte d’ensoleillement significative et permanente sera plus susceptible d’être qualifiée d’anormale qu’une diminution temporaire ou négligeable. ​

L’impact sur la valeur du bien

La perte d’ensoleillement peut entraîner une dépréciation de la valeur vénale du bien immobilier concerné. Pour établir ce préjudice, il est recommandé de faire appel à un expert qui évaluera la diminution de la valeur du bien résultant de la perte de luminosité naturelle. Cette expertise pourra constituer une preuve objective du préjudice financier subi. ​

Le trouble de jouissance

Au-delà de la perte financière, la diminution de l’ensoleillement peut affecter la jouissance quotidienne du bien : réduction du confort de vie, nécessité accrue d’éclairage artificiel, augmentation des coûts énergétiques, etc.

Ces désagréments quotidiens constituent un trouble de jouissance pour lequel une indemnisation peut également être demandée.

5. Perte d’ensoleillement : est-il intéressant de contester le permis de construire ?

Contester le permis de construire : un intérêt stratégique à envisager

Lorsqu’une nouvelle construction menace de réduire l’ensoleillement de votre propriété, envisager un recours contre le permis de construire peut être une stratégie efficace.

En obtenant l’annulation du permis, le projet peut être stoppé, préservant ainsi l’exposition de votre bien.​

Il faut toutefois bien garder à l’esprit qu’il s’agit d’une logique très différente de la contestation sur le fondement du trouble anormal de voisinage.

Lorsqu’on se place sur le terrain du trouble anormal de voisinage pour contester la perte d’ensoleillement, la compétence appartient au juge judiciaire, car il s’agit d’un différend entre particuliers. Le juge évalue si le trouble excède les inconvénients normaux du voisinage et, le cas échéant, peut ordonner des mesures pour faire cesser la nuisance ou accorder des dommages et intérêts au requérant.

La contestation du permis de construire vise à obtenir l’annulation du permis de construire en raison d’irrégularités, telles que le non-respect des règles d’urbanisme ou des dispositions du plan local d’urbanisme (PLU). Ce recours, qualifié de recours pour excès de pouvoir, relève de la compétence du juge administratif, car il s’agit de vérifier la légalité d’un acte administratif délivré par une personne publique, le plus souvent la commune.

Attention, la perte d’ensoleillement ne suffit pas en soi à fonder l’annulation du permis

Il est important de noter que la seule perte d’ensoleillement ne constitue pas un motif suffisant pour annuler un permis de construire.

Le Conseil d’État, dans un arrêt du 13 mars 2020 (CE, 13 mars 2020, n° 427408), a précisé que l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme permet de rejeter ou d’assortir de réserves les projets qui, par leurs caractéristiques et leur aspect extérieur, portent une atteinte visible à leur environnement naturel ou urbain.

En se fondant sur cette interprétation, le Conseil d’Etat a jugé qu’une baisse d’ensoleillement, même si elle altère les conditions de fonctionnement d’une maison voisine conçue selon des principes bioclimatiques, ne constitue pas en soi une atteinte visible justifiant l’annulation du permis au sens de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme.

Néanmoins, si le permis de construire présente une illégalité et qu’un intérêt à agir est reconnu, il est pertinent d’envisager cette voie.

L’intérêt à agir est généralement reconnu aux voisins immédiats du projet, notamment si celui-ci est susceptible d’affecter directement leurs conditions de vie ou la valeur de leur bien immobilier. Dans le cas d’une perte d’ensoleillement, ce sont nécessairement les voisins les plus immédiats qui sont concernés.

Le cabinet PY Conseil, par son expertise en droit de l’urbanisme, vous accompagne pour toutes les démarches dans la contestation des permis de construire et autres autorisations d’urbanisme.

Récapitulatif : les points à ne pas oublier

La perte d’ensoleillement peut affecter la qualité de vie des occupants d’un logement et la valeur d’un bien immobilier. Face à une telle situation, deux types de recours sont envisageables :​

  • En principe, le recours pour trouble anormal de voisinage est le plus approprié. Si la perte d’ensoleillement dépasse les inconvénients normaux du voisinage, il est possible d’engager une action en responsabilité civile devant le juge judiciaire pour obtenir réparation du préjudice subi.​
  • Cependant, la contestation du permis de construire peut aussi présenter un intérêt stratégique. En présence d’irrégularités dans la délivrance du permis, un recours devant le juge administratif peut être envisagé pour obtenir l’annulation du permis de construire à l’origine de la perte d’ensoleillement.​

Points clés à retenir :

  • Evaluez objectivement le préjudice : faites réaliser une étude technique pour quantifier la perte d’ensoleillement et son impact sur votre bien.​
  • Choisissez la voie de recours appropriée : identifiez dans votre situation les éléments qui relèvent du trouble anormal de voisinage (juge judiciaire) et ceux de l’illégalité du permis de construire (juge administratif).​
  • Surveillez les délais : les actions en trouble anormal de voisinage se prescrivent par cinq ans à compter de la connaissance du trouble, tandis que les recours contre un permis de construire doivent être engagés dans les deux mois suivant son affichage.​
  • Consultez votre avocat : en raison de la complexité des procédures, il est recommandé de consulter un avocat spécialisé pour évaluer la pertinence de votre action et vous accompagner dans vos démarches.​

Le cabinet PY Conseil accompagne les propriétaires confrontés à une perte d’ensoleillement, pour les défendre de la façon la plus appropriée face aux troubles de jouissance et aux désagréments liés à cette situation.

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