Référé-liberté et fermeture des salles de sport : le sort des salles de sports fermées du fait de la Covid-19 s’est posé devant le juge des référés-libertés.
Comment a t’il décidé de concilier la liberté d’entreprendre avec l’impératif sanitaire ? Note sous TA Grenoble, ord., 1eroctobre 2020, N°2005698.
Depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence sanitaire, de nombreuses fermetures de salles de sports ont été prononcées par arrêté préfectoral. Des interdictions générales, absolues, indifférenciées et dénuées de considérations de lieux et de temps, vont à l’encontre de la lettre de l’état d’urgence sanitaire et de la jurisprudence classique du Conseil d’État, qui imposent une stricte proportionnalité. Les salles de sports, se sont donc naturellement tournées vers la voie du référé-liberté devant le tribunal administratif. Néanmoins, la protection de la santé publique a primé devant une atteinte grave et manifeste aux libertés individuelles.
Le préfet de département est habilité à prononcer la fermeture de salles de sports au nom de l’impératif sanitaire
Le I de l’article 1er de la loi du 9 juillet 2020 donne compétence au Premier ministre, sur rapport du ministre chargé de la santé, pour prononcer la fermeture provisoire des activités accueillies dans un lieu « ne permettent pas de garantir la mise en œuvre des mesures de nature à prévenir les risques de propagation du virus ou lorsqu’ils se situent dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constatée une circulation active du virus[…] ».
Conformément au II de cet article, le représentant de l’État territorialement compétent est habilité à prononcer de telles interdictions d’ouverture de sa propre initiative, après avis du directeur général de l’agence régionale de santé et lorsqu’elles ont vocation à s’appliquer dans un champ géographique qui n’excède pas le territoire d’un département. Enfin, l’article 50 du décret du 10 juillet 2020, pris en application de la loi susmentionnée, habilite explicitement le préfet de département à prononcer la fermeture des établissements sportifs couverts.
C’est sur ces fondements que, par un arrêté en date du 25 septembre 2020 (n° 38-2020-09-001), le préfet de l’Isère a décidé de la fermeture de toutes les salles de sport des communes membres de Grenoble Alpes-Métropole, entre le 26 septembre et le 10 octobre 2020.
Le juge des référés-libertés est tenu d’exercer un contrôle strict de la proportionnalité des mesures d’application de l’état d’urgence sanitaire
Le référé-liberté prévu à l’article L. 521-1 du code de justice administrative permet de saisir en urgence le juge administratif face à l’atteinte d’une liberté fondamentale par l’administration. Le juge, statuant en référé, peut alors ordonner « toutes mesures nécessaires »pour mettre fin à l’atteinte. Ce pouvoir étendu dévolu au juge des référés est conditionné à la double démonstration d’une urgence à statuer (elle est présumée par l’article L. 3131-18 du code de la santé publique pour les mesures d’application de la loi sur l’état d’urgence sanitaire) et d’une atteinte grave et manifestement illégale, par l’administration, à une ou plusieurs libertés fondamentales.
Dans le cadre de l’application de l’état d’urgence sanitaire, l’appréciation du caractère manifestement illégal d’une mesure doit être comprise comme une appréciation de la stricte proportionnalité. En effet, si, pris isolément, ce caractère peut paraître très limitatif et difficile à prouver, le III de l’article 1er de la loi du 9 juillet 2020 dispose que les mesures prises doivent être « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu », ce qu’a rappelé la haute juridiction (Conseil d’État, ord. réf., 6 septembre 2020, n°443751).
Fermeture des salles de sport, une mesure contestable
Il a donc été demandé au juge des référés-libertés de suspendre la mesure de fermeture des salles de sport et, à titre subsidiaire, d’enjoindre au Préfet de l’Isère, de modifier l’arrêté édicté.
Les conditions étaient vraisemblablement remplies pour plusieurs raisons.
Il existait bien une atteinte grave à la liberté d’entreprendre, à la liberté d’exercer une activité professionnelle et à la liberté du commerce et de l’industrie. La mesure de fermeture interdisant sans ambigüité aux salles de sport de réaliser leur objet social (voir : CE, ord., 14 mars 2003, Cne d’Évry, 254827, Lebon).
Selon nous, l’atteinte portée était du reste manifestement illégale. En effet, les mesures prises n’étaient pas proportionnées au but visé de protection de l’ordre public.
Rappelons à cet égard que des protocoles sanitaires stricts avaient été mis en place par les salles de sport, ce qui au surplus généré des investissements supplémentaires. De plus, il était démontré l’absence ou à tout le moins le caractère très négligeable de contaminations dans les salles de fitness. A contrario, le Préfet ne rapportait aucune donnée objective et concrète du lien entre les cas de contaminations et les salles de sport du territoire nonobstant les données nécessairement existantes de l’Agence régionale de santé.
Encore, l’interdiction d’ouverture prononcée nous a bien semblé absolue. Celle-ci a effectivement été appliquée de manière indifférenciée dans les 49 communes de la Métropole en dépit des disparités sur le taux d’incidence du virus, et n’était pas limitée selon les heures de la journée, en fonction du taux d’affluence dans les salles de sport.
Enfin, des mesures moins attentatoires aux libertés fondamentales pouvaient être prises (CE, ord. réf, 28 juillet 2017, Section française de l’OIP, n° 410677), à l’image d’une obligation d’instaurer un système de réservation et/ou une limite de capacité d’accueil de la salle.
Fermeture des salles de sport, une mesure validée
Pourtant, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté la requête. Il s’est appuyé, sur des données l’aggravation générale de la situation sanitaire dans le département de l’Isère et le statut de zone d’alerte renforcé du territoire de la métropole. D’autre part, il a fait état du danger de contamination particulier qui règnerait dans les salles de sports fermées, de par leur nature même. La formation de référé a dès lors considéré que la fermeture des salles de sports n’était pas disproportionnée au regard de l’objectif de protection de la santé publique et qu’elle ne portait pas une atteinte manifestement illégale aux libertés susvisées.
Sur le plan des libertés publiques, cette décision nous paraît critiquable de par la disproportion entre la mesure de fermeture totale des salles de sport et l’absence de cas de contaminations clairement établis en défense, alors même au demeurant que des mesures moins restrictives des libertés étaient possibles.
Cela nous conduit à considérer que les conditions du référé-liberté ont été appliquées de façon particulièrement stricte. Ici elle a conduit à privilégier la protection alléguée de la santé publique et dépit des éléments apportés pour contredire la proportionnalité de la mesure.
Retrouvez cet article paru dans Les Affiches de Grenoble et du Dauphiné: https://www.affiches.fr/infos/droit-et-chiffre/refere-liberte-et-fermeture-des-salles-de-sport/
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